Les enjeux de la coopération migratoire entre Londres et Kigali : le cas des demandeurs d’asile
Domains: Géopolitique
Regions: Afrique centrale
Nations: Rwanda

Le 14 avril 2022, la Grande Bretagne signe un accord controversé avec le Rwanda pour le rapatriement des migrants illégaux en terre rwandaise. Ces migrants, pour la majorité des demandeurs d’asile, vont désormais hébergés au Rwanda, à partir duquel leurs demandes seront mises en examen. Dans le cadre d’une suite favorable, les demandeurs ne peuvent pas revenir en Angleterre mais rester au Rwanda, situé à plus 6000 kilomètres de Londres. Cet accord suscite la désapprobation des organisations de la société civile qui protègent les droits des migrants. Pour les anglais, cet accord vise en première ligne les passeurs des migrants, afin de les décourager dans leur besogne, qui, selon le premier ministre britannique Boris Johnson, « engendrent trop de misère humaine et de morts », comme cela a été le cas de la noyade de vingt-sept (27) dans la Manche en novembre 2021.

Dans une stratégie visant à sous-traiter les demandeurs d’asile au Rwanda, les anglais défendent leur accord avec Kigali en le qualifiant de « créatif » et « compassionnel », selon les propos de la ministre de l’intérieur britannique Priti Patel, lors de sa visite de finalisation des termes du partenariat au Rwanda. Elle va renchérir en qualifiant le Rwanda comme un pays sûr et soucieux du respect de l’Etat de droit et des droits de l’homme. De leur côté, les autorités rwandaises par la voix du ministre des affaires étrangères Vincent Biruta, se sont senties privilégiées par cette opportunité offerte par la Grande Bretagne. En effet, cette dernière va financer la fourniture des toits et des formations aux demandeurs d’asile, à travers un premier versement de 120 millions de livres sterling. Il s’agit d’une forme de déportation qui ne concerne pas les mineurs et ne vise pas la séparation des enfants de leurs parents. En retour, le Rwanda peut quant à lui s’opposer à l’arrivée des demandeurs ayant un casier judiciaire.

Si cette politique migratoire de Boris Johnson est synonyme de souffrances, de chaos et d’énormes dépenses, évaluées à 1,4 milliard de livres par an, pour le directeur du Refugee Council, Enver Solomon ; elle est plus préoccupante selon Yvette Cooper, qui la qualifie d’amorale, de dispendieuse et impossible à opérationnaliser. Il s’agit pour le gouvernement britannique actuel de tenir l’une de ses principales promesses post-Brexit, consistant à « reprendre le contrôle » des frontières, dans un contexte marqué par une augmentation du taux de réussite du passage des migrants par la Manche en 2021.

Ainsi, ne bénéficiant plus du règlement de Dublin pour renvoyer dans l’Union européenne des migrants y ayant déjà déposé une demande d’asile, la Grande Bretagne a fait le choisi du partenariat rwandais. Bien que n’étant pas encore adoptée à Westminster, la loi Nationality and Borders Bill autorisant les transferts de demandeurs d’asile « contredit fondamentalement les engagements du gouvernement [britannique] de respecter ses obligations au regard de la Convention [de Genève] sur les réfugiés », selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). D’où la forte opposition du HCR vis-à-vis de la perception du Rwanda comme un pays sûr pour les demandeurs d’asile. L’ONG Human Rights Watch va plus loin en soulignant les détentions arbitraires, les mauvais traitements et la torture dans des centres de détention non officiels, qui semblent être des pratiques communes au Rwanda.

Toutefois, cet accord est perçu comme un coup géopolitique et une opportunité économique pour le Rwanda. Sur le plan géopolitique, le Rwanda est présenté comme un pays sûr qui respecte l’Etat de droit. Sur le plan économique, il bénéficie d’un financement à hauteur de 145 millions d’euros pour la mise en œuvre de l’accord et le développement du pays à travers la lutte contre la pauvreté avec près de 40% de la population vivant encore sous le seuil de pauvreté. Cet accord avec la Grande Bretagne intervient dans un contexte où, le Rwanda compte déjà plus de 130 000 réfugiés venant particulièrement de la République démocratique du Congo et du Burundi, mais Kigali se dit toujours prêt à accueillir plusieurs milliers, voire quelques dizaines de milliers de migrants renvoyés du Royaume-Uni. Pourtant, une partie de l’opposition rwandaise tire la sonnette d’alarme en reconnaissant le caractère densément peuple du pays et l’insuffisance des terres, avec ultérieurement des conséquences liées aux conflits d’accès à la terre.

Par ailleurs, le Rwanda n’est pas à son premier partenariat de ce type. A ce sujet, on peut citer :

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    • Le projet avorté avec Israël, prévoyant l’expulsion de demandeurs d’asile africains vers le Rwanda et l’Ouganda ;

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    • Depuis 2019, le Rwanda accueille un programme du Haut-Commissariat des Nations unies qui évacue des migrants détenus en Libye ;

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    • Plus actuel, le pays a reçu des réfugiés afghans ayant fui leur pays après la prise de pouvoir des talibans, spécialement la totalité des élèves et du personnel d’un internat pour filles.

Des projets pareils sont en cours d’élaboration avec des pays comme le Danemark et la Belgique.

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