Annulation du report des élections au Sénégal : triomphe de la démocratie ou victoire de la rue ?
Domains: Sécurité politique
Regions: Afrique
Nations: Sénégal

Samedi 3 février, le président du Sénégal, Macky Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, a annoncé le report de l’élection présidentielle prévue le 25 février. Il a pris cette décision en raison d’un « conflit ouvert » entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, « sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges », a-t-il expliqué. Le président a indiqué que le Sénégal ne pouvait pas « se permettre une nouvelle crise » et a annoncé « un dialogue national » pour « une élection libre, transparente et inclusive », tout en réaffirmant qu’il ne serait pas candidat à cette élection.

La décision de Macky Sall de reporter l’élection présidentielle sera dénoncée par ses détracteurs comme un « coup d’État constitutionnel », ce qui va causer un tollé parmi les candidats qualifiés, et dans la société civile. Suite aux manifestations qui ont causé du tumulte dans le pays, l’internet des données mobiles va être coupé au Sénégal. Le ministère des Télécommunications invoque alors comme motif la diffusion de « messages haineux et subversifs » sur les réseaux sociaux.

Saisi de plusieurs requêtes de la part de 8 candidats à la présidentielle et 51 députés aux fins de contester le décret pris par le président Sall, le Conseil constitutionnel s’est déclaré compétent pour statuer sur les recours dirigés contre la loi reportant le présidentielle au 15 décembre et le décret précité. Il en ressort ainsi que « Le décret 2024-106 du 03 février 2024 portant abrogation du décret convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024 est annulé », a indiqué la haute juridiction dans sa décision. Le Conseil a considéré que le décret attaqué, pris sur le fondement de la proposition de loi notifiée au Président de la République, manque de base légale et encourt ainsi l’annulation.

Présentée comme étant l’expression normale d’une société démocratique, la situation politique au Sénégal suscite l’admiration de nombreuses sociétés africaines, qui perçoivent la décision du conseil constitutionnel comme étant le triomphe de la démocratie sénégalaise.

Cependant, dans un contexte où les mobilisations de la rue semblent s’être érigées en modèle d’expression par excellence de « l’opinion publique » il semble tout de même opportun de s’attarder sur l’opportunité de cette décision historique du conseil Constitutionnel, dans la mesure où la jurisprudence du Conseil constitutionnel l’avait jusque-là conduit à se déclarer incompétent pour censurer une loi adoptée par l’Assemblée nationale à la majorité des 3/5. L’on comprend donc que ce fait inédit puisse dans une certaine mesure être considérée comme étant la résultante d’une influence de la rue. En effet, alors que le recours à la rue se pose aujourd’hui comme une alternative attrayante pour de nombreux acteurs politiques, comme en témoigne le cas des « gilets jaunes » en France, les démocraties africaines gagneraient à adopter une attitude proactive vis-à-vis de ce phénomène qui à la longue pourrait représenter une véritable menace à la consolidation de la démocratie en Afrique.

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